• Poèmes de Pablo Neruda

    L'homme qui rêve de changer la vie

     

     

    Le poète (voix off )

     La poésie a perdu son lien avec le lecteur lointain... Il faut le renouer... Il faut que la poésie marche dans l’obscurité et retrouve le coeur de l’homme, les yeux de la femme, les inconnus de la rue, ceux qui à une certaine heure crépusculaire ou en pleine nuit étoilée ont besoin d’elle, même s’il s’agit d’un seul vers... Cette visite à l’imprévu vaut tout ce qu’on a parcouru, et lu et appris...

     

    Le poète :

     Il faut se perdre parmi les inconnus pour qu’ils ramassent soudain ce qui est à nous dans la rue, sur le sable ou au milieu des feuilles qui tombent depuis mille ans dans la même forêt... et qu’ils prennent tendrement l’objet que nous avons fait notre ...

     

    Le chanteur :

    Alors seulement nous serons de véritables poètes... Dans cet objet vivra la poésie...

     

     

     

    UN JOUR VOYAGEUR

     

    Le poète: “ Je ne sais rien si ce n’est ce que perdent les oiseaux.”

     

    Un jour voyageur homme ou femme

    Plus tard quand je ne vivrai plus

    Cherche ici cherche-moi

    Parmi la pierre et l’océan

    A la tempétueuse clarté

    De l’écume

    Cherche ici cherche-moi

    Car je reviendrai ici sans rien dire

    Sans voix sans bouche

    Pur

    Je reviendrai ici

    Etre le mouvement de l’eau

    De son coeur sauvageon

    Et je serai ici perdu et retrouvé

    Ici peut-être je serai pierre et silence

     

     

     

    A PAÏTA

     

    Le poète: “ Moi je viens vous parler par votre bouche morte.”

     

    Le chanteur :

    A Païta nous demandâmes

    Ce qu’on savait de la défunte

    Toucher

    Toucher la terre

    De la belle ensevelie

     

    Le chanteur, puis le poète en écho :

    Personne ne savait

     

     

    Le chanteur :

    Mouches du marché bourdonnantes

    Le ciel était couvert

    Et le jour fatigué

    Mouches du marché bourdonnantes

    Le jour était un égaré un voyageur

    Mouches du marché bourdonnantes

    Sur un long chemin

    Pour nulle part

    Poussiéreux

    J’arrêtais l’enfant l’homme le vieillard

     

    Le chanteur, puis le poète en écho :

    Personne ne savait

     

    Le chanteur :

    Mouches du marché bourdonnantes

    Où mourut Manuelita

    Mouches du marché bourdonnantes

    Où était sa maison

    Mouches du marché bourdonnantes

    Où trouver maintenant

    La cendre de ses os

    Nous interrogeâmes la mer

    Et le vieil océan

     

    Le poète :

    Personne ne savait

     

    Le chanteur :

    La mer du Pérou

    Dans l’écume ouvrit son regard inca

    Et j’entendis la bouche sans dents de la turquoise

     

     

     

     LA UNITED FRUIT C°

     

    Le poète :

    “ Je cessai alors d’être un enfant

    J’avais compris qu’on ne permettait pas à mon peuple de vivre

    Et qu’on lui refusait la sépulture

    Si vous me demandez d’où je viens, je dois parler avec ce qui a été brisé.”

     

    Femme 1 :

    Quand sonnèrent les trompettes

    Tout était prêt sur la terre

    Et Jehova partagea le monde

    Entre la Coca-Cola Inc, la Anaconda

    La Ford-Motors et quelques autres sociétés

     

    Le poète :

    La United Fruit C° se réserva le plus juteux

    La côte centrale de ma terre

    La douce ceinture de l’Amérique

     

    Homme :

    Elle rebaptisa ses terres : “ Republica Bananas !”

     

    Femme 1:

    Et sur les morts endormis

    Sur les héros inquiets qui conquirent la grandeur la liberté et les drapeaux

    Elle établit l’opéra bouffe

     

    Homme :

    Elle aliéna les volontés

    Offrit des couronnes de César

    Déchaîna l’envie

    Etablit la dictature des mouches

     

    Femme 2 :

    Mouches Trujillos mouches Tachos

    Mouches Carias mouches Martinez

    Mouches Ubico

     

    Femme 1 :

    Mouches humides de sang humble et de marmelade

     

    Homme:

    Mouches ivres qui bourdonnent sur les tombes populaires

     

    Femme 2 :

    Mouches de cirque

    Mouches savantes

    Expertes en tyrannie

     

    Le poète :

    Le dictateur Ubico gouvernait le pays depuis de longues années. C’était un homme corpulent, au regard froid, visiblement cruel. Il dictait la loi et rien ne bougeait sans son ordre au Guatemala.

    Les jeunes poètes ayant voulu que je donne un récital, un télégramme fut envoyé à Ubico pour lui demander l’autorisation. Tous mes amis et les étudiants remplissaient le local. Je lus avec plaisir mes poèmes car il me semblait qu’ils entrouvraient la fenêtre de cette vaste prison. Le chef de la police était assis, en homme illustre, au premier rang. J’appris plus tard que quatre mitrailleuses avaient été braquées sur moi et sur le public, prêtes à fonctionner si le policier avait abandonné ostensiblement son fauteuil et interrompu le récital.

    Il ne se passa rien, car l’individu resta jusqu’à la fin à écouter mes vers.

     J’ai connu un des secrétaires du dictateur Ubico. C’était  un révolutionnaire, qui est devenu mon ami. Il avait osé discuter, contredire un petit détail. Ubico le fit attacher sur place à une des colonnes du palais présidentiel et le fouetta sauvagement.

     

    Femme 1  :

    Parmi les mouches sanguinaires

    Voici que débarque la Fruit C°

    Qui rafle le café et les fruits

     

    Le poète

    Le trésor de nos terres submergées glisse dans ses navires

    Comme sur des plateaux

    Pendant ce temps dans les abîmes sucrés des ports

    Des indiens tombent

    Dans la vapeur du matin un corps roule

    Une chose sans nom

    Un numéro détaché

    Une grappe de fruits morts renversée sur le pourrissoir

     

     

     

    LE NAVIRE EST PARTI

     

    Le chanteur :

    Le navire est parti

    Pour ses espaces

     

    Voilà Païta endormie

    Dans ses sables

    Et Manuelita sans tombeau

    Egrenée

    En d’atroces et dures solitudes

     

    Revinrent les barques

    Ils déchargèrent

    En plein soleil

    Des marchandises noires

     

    Les grands oiseaux chauves

    Demeurent

    Immobiles

    Sur les pierres brûlantes

     

    Le navire s’en va

    La terre déjà

    N’a plus de nom

     

    Entre les deux bleus

    Du ciel et de l’océan

    Une ligne de sable

    Sèche seule sombre

    Tombe la nuit

    Et navire côte mer

    Terre et chant

    Glissent vers l’oubli

     

    Le poète:

    Enfin nous pouvons exister

    Bien qu’un certain nombre de fils de putes

    N’acceptent pas nos vies

     

     

    A LA HAINE

     

    Le poète :

    “ Je me suis approché de la haine

    Ses frissons sont graves.”

     

    A la haine je laisserai

    Mes fers à cheval

    Ma chemisette de navire

    Mes chaussures de voyageur

    Mon coeur de menuisier

    Tout ce que j’ai su faire

    Et ce qui m’a aidé à souffrir

    Ce que j’eus de dur et de pur

    D’indissoluble et d’émigrant

     

    Femme 1 :

    Pour qu’on apprenne dans le monde

    Que ceux qui ont bois et eau

    Peuvent couper et naviguer

     

    Femme 2 :

    Peuvent aller et peuvent revenir

    Peuvent souffrir et aimer

    Peuvent craindre et travailler

     

    Homme :

    Peuvent être et peuvent continuer

    Peuvent fleurir et mourir

     

    Femme 2 :

    Peuvent être simples et obscurs

    Peuvent ne pas avoir d’oreilles

     

    Femme 1 :

    Peuvent endurer le malheur

    Peuvent attendre une fleur

     

    Le poète :

    “ Je veux inventer la mer quotidienne

    Je ne cherche pas asile dans le creux du sanglot

    Je montre la naissance de l’abeille.”

     

    Je suis né tant de fois

    Que je possède une expérience salubre

    En tant que créature de la mer

    Aux célestes atavismes

    Et à destination terrestre

    Et ainsi je me déplace sans savoir

    A quel monde je vais revenir

    Ou si je vais continuer à vivre

    Alors que les choses se résolvent

    J’ai laissé ici mon témoignage

    Ma voguante “Vaguedivague”

    Afin qu’en la lisant beaucoup

    Personne ne puisse rien apprendre

    Si ce n’est le mouvement perpétuel

    D’un homme clair et confondu

    D’un homme pluvieux et joyeux

    Energique et automnal

     

     

     

     

    VALPARAISO

     

    Homme :

    Savez-vous qu’il fut un temps où Valparaiso ouvrait ses portes à la main sans fin, aux cris de la rue, aux yeux des enfants.

     

    Le chanteur :

    Depuis Valparaiso par la mer

    Pacifique dur chemin de couteaux

    Soleil qui meurt ciel en dérive

    Et le bateau insecte sec porté par l’eau

    Chaque jour est un feu une couronne

    La nuit éteint disperse dissémine

    Oh! jour oh! nuit

    Navires

    De l’ombre et la lumière navires gémeaux

    Oh! temps sillage brisé de bateau

    Lentement vers Panama glisse le vent

    Oh! mer fleur couchée du repos

    Ce n’est ni aller ni venir

    Et nous ne savons rien

    Les yeux fermés nous existons

     

    Homme :

    Du port, les plus durs voiliers partirent à la conquête des baleines.

    D’autres navires mirent le cap sur l’or de la Californie. Les derniers traversèrent les sept mers pour recueillir plus tard dans le désert chilien le nitrate qui gît comme la poussière infinie d’une statue démolie sous les étendues les plus sèches du monde.

    Ce furent là les grandes aventures.

    Valparaiso scintilla dans la nuit de l’univers.

    Du monde et vers le monde surgirent des navires pavoisés, beaux comme des colombes de rêve, des bateaux parfumés, des frégates affamées que le Cap Horn avait retenues plus que de raison...

     Souvent les hommes à peine débarqués se précipitaient sur la pâture...

    Jours féroces et fantastiques où les océans ne communiquaient que par le lointain détroit de la Patagonie.

    Temps où Valparaiso payait en bonne monnaie les équipages qui la souillaient et qui l’aimaient.

     

    Le chanteur et l’homme :

    Depuis Valparaiso par la mer

    Pacifique dur chemin de couteaux

    Les yeux fermés nous existons

     

    Le choeur :

    Depuis Valparaiso par la mer

    Pacifique dur chemin de couteaux

    Les yeux fermés nous existons

     

    Homme :

    Valparaiso, alors, s’éclairait et produisait un or sombre; peu à peu il se transforma en oranger marin; il eut un feuillage; il eut sa fraîcheur et son ombre; il eut un éclat de fruit.

     

     

     

     

    LE PARESSEUX

     

     

    Le chanteur :

    Continueront de voyager

    Choses de métal entre les étoiles

    Des gens s’exténueront à monter

    Pour violer la lune douce

    Là-bas fonder leurs pharmacies.

     

    En ce temps de vendanges pleines

    Le vin chez nous commence à vivre

    De la mer à la Cordillère

    Au Chili dansent les cerises

    Chantent les fillettes à peau noire

    Et dans les guitares l’eau brille

    Le soleil joue à toute porte

    Et fait miracle pour le blé

     

    Le premier vin est vin rosé

    Il est doux comme un enfant tendre

    Le second vin est vin robuste

    Comme la voix d’un marinier

    Le troisième est une topaze

    Incendie et coquelicot

     

    J’ai mer et terre à la maison

    Ma femme a des yeux gigantesques

    Couleur des noisettes des bois

     

    Et lorsque vient la nuit la mer

    Se pare de blanc et de vert

    Et puis dans l’écume la lune

    Rêve en fiancée océane

     

    Pourquoi donc changer de planète

    J’ai mer et terre à la maison

    Ma femme a des yeux gigantesques

    Couleur des noisettes des bois

     

     

     

    TU AS ETE LA LIBERTE

     

    Homme:

    Jeune frère il y a maintenant des temps et des temps

    Jamais endormi jamais consolé

    Jeune homme tremblant dans les ténèbres

    Métalliques de Mexico

    Dans ta main tu reçus le don

    De ta patrie dénudée

    En elle naquit et grandit ton sourire

    Comme une ligne entre l’or et la lumière

     

     

    Le chanteur :

    Manuelita

    Tu as été la liberté

    La délivrance et l’amoureuse

    Offrant les joies avec les doutes

    Adorée irrespectueuse

     

    Le hibou frissonnait dans l’ombre

    Lorsque passait ta chevelure

     

    Les tuiles s’éclairèrent

    Les parapluies s’illuminèrent

     

    Les maisons changèrent de robe

    L’hiver fut transparent

     

    Et Manuelita traversa

    Les rues fatiguées de Lima

    La nuit de Bogota

    L’obscurité de Guayaquil

    Et l’habit noir de Caracas

     

    Il fait jour depuis lors

     

     

     

    LA FOULE

     

    Le poète :

     La foule a été la leçon de ma vie. J’appartiens à la majorité primordiale, je suis une des feuilles du grand arbre humain. Dans la solitude, ma vie s’est enrichie de la bataille des vagues sur le littoral chilien. J’ai été intrigué et passionné par les eaux combatives et par les rochers combattus, par la multiplication de la vie océanique.

    Mais j’ai appris beaucoup plus de la grande marée des vies, de la tendresse aperçue dans des milliers d’yeux qui me regardaient en même temps. Ce message n’est peut-être pas à la portée de tous les poètes, mais celui qui l’aura reçu le gardera dans son coeur et le développera dans son oeuvre.

     

    Femme 2 :

        «  Nous, les poètes marcheurs, nous avons exploré le monde, sur chaque seuil, la vie nous a reçus, nous avons pris part à la lutte terrestre. Quelle fut notre victoire? Un livre. Plein de contacts humains, de chemises; un livre sans solitude, avec hommes et outils. Il vit et tombe comme tous les fruits, il s’éteint, il s’effeuille, il se perd parmi les rues, il s’effondre sur le sol. »

     

    Femme 1:

         « J’écris pour le peuple bien qu’il ne puisse lire ma poésie avec ses yeux ruraux. L’instant viendra où une ligne, l’air qui bouleverse ma vie, parviendra à ses oreilles... »

     

     

     

     

     

    MOI CHANTEUR

     

    Le poète :

    “ Je ne suis rien de plus qu’un poète je vous aime tous

    Je ne viens rien résoudre

    Je suis ici pour chanter et pour que tu chantes avec moi.

    Je suis résolument triangulaire.”

     

    Le chanteur :

    Moi chanteur j’ai erré

    Parmi les vignes

    De l’Europe

    J’ai erré sous le vent

    Sous le vent de l’Asie

     

    Le meilleur dans les vies

    La vie même

    La terrestre douceur

    La paix pure

    Errant je l’ai cueilli

    Oui cueilli

     

    Le meilleur d’une terre

    Et d’une autre

    Ma bouche l’éleva

    Dans son chant

    La liberté du vent

    La paix au coeur des vignes

     

    Il semblait que les hommes

    Se haïssent

    La même nuit portant

    Les couvrait

    Et il n’est de lumière

    Qu’une seule lumière

    Celle qui nous réveille

    La lumière du monde

     

    J’entrai dans les maisons

    Ils mangeaient à leurs tables

    Ils venaient des usines

    Ils riaient ou pleuraient

    Et tous étaient semblables

    Et tous tournaient leurs yeux

    Vers la lumière tous cherchaient

    Leur chemin

    Tous avaient une bouche

    Ils chantaient

    Chantaient vers le printemps

    Tous

    Voilà pourquoi moi

    J’ai cueilli dans les vignes

    Et le vent

    Des hommes le meilleur

     

    Et maintenant il faut m’entendre

    Moi chanteur il faut m’entendre

    Tous

     

     

     

     

     

    POUVOIR DE LA POESIE

    Homme :

         C’était à Lota, il y a de cela bien des années. Dix mille mineurs étaient accourus au meeting. La zone du charbon, toujours agitée dans sa pauvreté séculaire, avait couvert la grand-place de travailleurs.

     

    Femme 2:

         A Lota, il y a les puits du bas charbon : c’est un port froid du grave hiver austral, la pluie tombe sur les toits, ailes de mouettes couleur de brouillard, et l’homme, sous la mer lugubre creuse et creuse le sombre enclos. La vie de l’homme est aussi noire que le charbon, nuit haillonneuse, pain misérable, jour pénible.

     

    Le poète :

         Une grève à nouveau, la paye ne suffit plus, les femmes pleurent dans les cuisines. C’est la grève de ceux qui creusent sous la mer, allongés dans la grotte humide, pour extraire avec sang et force la motte noire de la mine.

     

     

     

    Femme 1 :

         Les leaders parlèrent longtemps. Il flottait dans l’air de midi une odeur de charbon et de sel marin. L’océan était là tout près, avec sous ses eaux les quelque dix kilomètres de tunnels sombres dans lesquels ces hommes extrayaient le charbon.

     

    Femme 2 :

         Maintenant ils écoutaient, en plein soleil.

     

    Le poète :

         La tribune était très haute et découvrait devant moi un océan de casques de mineurs. Je devais parler le dernier.

     

    Femme 2 :

         Cette marée humaine, après avoir entendu ton nom et le titre du poème, se découvrit silencieusement. Succédant à ce langage politique catégorique, la poésie, ta poésie allait parler.

     

    Homme :

         Alors, il y eut un énorme mouvement de chapeaux : dix mille mains qui retombaient à l’unisson, dans une houle indescriptible, un sourd paquet de mer, une écume noire de muette déférence.

     

    Femme 1 :

         Alors ton poème s’éleva et son accent se fit plus combatif et plus libérateur que jamais.

     

    Le poète :

         J’ai accusé  celui qui avait étranglé l’espoir, j’ai mis son nom dans la caverne de la honte...

    Je suis arrivé, à travers les labyrinthes de la parole écrite, à être le poète de mon peuple. Et j’ai eu ma récompense, en ce moment grave de ma vie, quand, en plein soleil dans la salpêtrière ardente, un homme est monté de la fosse comme on remonte de l’enfer, le visage transformé par le travail pénible, les yeux rougis par la poussière et, me tendant sa main durcie, cette main qui porte la carte de la pampa dans ses cals et dans ses rides, m’a dit:

     

    Homme :

         “ Il y a longtemps que je te connais, mon frère.”

     

     

     

     

                                                             J’EXIGE UN CHATIMENT

     

    Le poète :

    “ Aujourd’hui de nouveau me voici compagnon

    Il me faut abolir orgueil solitude caprice

    M’en tenir à l’enclos de la communauté.”

     

    Homme et femme 1 :

    Alors, les entrepreneurs nord-américains et anglais, leurs avocats, leurs sénateurs, leurs députés, leurs présidents, répandirent le sang sur le sable.

     

    Ils parquèrent, enchaînèrent, assassinèrent notre race, la force profonde du Chili.

     

    Ils laissèrent le long des chemins de l’immense pampa des tombes d’ouvriers fusillés, des cadavres amoncelés dans les replis du sable.

     

    Le poète :

    La terre paraissait s’enfoncer.

     

    Le poète :

    Au nom de ces morts nos morts

    Je demande un châtiment

    Pour ceux qui éclaboussèrent la patrie de sang

    Je demande un châtiment

    Pour le bourreau qui commanda cette fusillade

    Je demande un châtiment

    Pour le traître qui parvint au pouvoir par ce crime

    Je demande un châtiment

    Pour celui qui déclencha l’agonie

    Je demande un châtiment

    Pour ceux qui se firent les défenseurs de ce crime

    Je demande un châtiment

    Je ne veux pas qu’ils me tendent leurs mains humides de notre sang

    Je demande un châtiment

    Je ne les veux pas ambassadeurs tranquilles dans leurs maisons

    Je veux les voir ici jugés à cette place en cet endroit

    J’exige un châtiment

     

     

     

    CELA EST CERTAIN

     

    Le poète :

    A demain donc pour la joie! Pour aujourd’hui, voici la plaie, voici les hautes larmes.

     J’ai besoin d’un éclair de splendeur persistante.

     

    Femme 2 :

     Sa femme est provinciale. Elle est née à Chillan, une ville du sud célèbre dans les moments heureux pour sa céramique paysanne et dans le malheur pour ses terribles tremblements de terre.

     C’est une femme araucane, indépendante et libre.

     

    Le poète:

    Mathilde Urrutia,

    La terre et la vie nous ont réunis.

    Tu es du pauvre sud, d’où est venue mon âme:

    Dans son ciel ta mère lave toujours du linge

    Avec la mienne. Amie, ainsi je t’ai choisie.

    Mathilde Urrutia,

    J’aime ta voix forte, quand tu chantes mes chansons.

     

    Mathilde :

    Bien que cela n’intéresse personne, je veux préciser que nous sommes heureux.

     

    Le poète :

    Maintenant je l’aperçois et je vois comment elle enterre ses souvenirs dans la boue du jardin et comment elle enterre ensuite ses mains minuscules dans la profondeur de la plante.

     De la terre, avec des pieds et des mains, des yeux et une voix, elle m’a apporté toutes les racines, toutes les fleurs, tous les fruits parfumés du bonheur.

     

    Mathilde :

    L’amour nous donna la seule importance

    La vertu physique

    La pulsation qui naît et se propage

    La continuité

    Du corps dans le bonheur

    Et cette parcelle de mort

    Qui nous illumina à nous rendre noirs

     

    Le chanteur :

    Cela est certain mon aimée ma soeur

    Cela est certain

    Comme les bêtes grises qui paissent dans les prés

    Et s’aiment dans les prés

    Comme les bêtes grises

    Comme les races ivres qui peuplent la terre

    Et s’aiment et puis se tuent

    Comme les races ivres

    Comme le battement des corolles ouvertes

    Répandent le trésor futur des semailles

    Comme le battement des corolles ouvertes

     

    Poussé par les voix de la terre

    Comme une vague dans la mer

    Mon corps va vers toi

    Et toi dans ta chair

    Tu enfermes les pupilles assoiffées

    Avec lesquelles je regarderai

    Quand on aura rempli mes yeux de terre

     

     

     

     

    JE VEUX VIVRE DANS UN MONDE

     

     

    Le poète :

     Je n’ai jamais compris la lutte autrement que comme un moyen d’en finir avec la lutte. Je n’ai jamais compris la rigueur autrement que comme un moyen d’en finir avec la rigueur. J’ai pris un chemin car je crois que ce chemin nous conduit tous à cette aménité permanente.. Je combats pour cette bonté générale, multipliée, inépuisable.

     

    Mathilde :

     ( Au poète ) De toutes ces rencontres entre ta poésie et la police, (aux autres) de tous ces épisodes et d’autres que je ne vais pas raconter car ils sont identiques, et d’autres qui ne lui sont pas arrivés personnellement mais que beaucoup de gens ont subis et ne pourront pas raconter, ( au poète) il te reste malgré tout une foi...

     

     

    Le poète :

     Une foi absolue dans le destin de l’homme, la conviction chaque jour plus consciente que nous approchons de la grande tendresse.

     

     

     

    MON AMOUR SI JE MEURS

     

    Le chanteur :

    Mon amour si je meurs et si tu ne meurs pas

    Mon amour si tu meurs et si je ne meurs pas

    N’accordons pas à la douleur plus grand domaine

    Nulle étendue ne passe celle de nos vies

     

    Poussière sur le blé et sable sur les sables

    L’eau errante et le temps et le vent vagabond

    Nous emportaient tous deux comme graine embarquée

    Nous pouvions dans ce temps ne pas nous rencontrer

     

    Et dans cette prairie où nous nous rencontrâmes

    Mon petit infini nous voici à nouveau

    N’accordons pas à la douleur plus grand domaine

    Nulle étendue ne passe celle de nos vies

     

    Avec Mathilde :

    Mais cet amour amour est un amour sans fin

    Et de même qu’il n’a pas connu de naissance

    Il ignore la mort il est comme un long fleuve

    Il change seulement de lèvres et de terre

     

     

    Mon amour si je meurs et si tu ne meurs pas

    Mon amour si tu meurs et si je ne meurs pas

     

    Femme 2 :

     En cet instant critique, en ce clignotement d’agonie, nous savons que la lumière définitive entrera dans les yeux entrouverts.

     

    Femme 1 :

    Nous nous comprendrons tous.

     

    Homme :

    Nous progresserons ensemble. Et cet espoir est irrévocable.

     

     

                                                                      A HORA Y SIEMPRE

     

    Le poète :

    Je veux être dans la mort avec les pauvres

    Qui n’ont pas le temps de l’étudier

    Fouettés par ceux qui possèdent le ciel

     

    J’ai ma mort prête comme un costume

    Qui m’attend de la couleur que j’aime

    De la taille que j’ai cherchée en vain

    Et de l’ampleur dont j’ai besoin.

    ( Il sort ).

     

     

    Voix off :

    Enterrez-moi à l’lIe Noire, compagnons,

    face à l’océan familier,

    à ces rugueux  arpents de pierre et de vagues,

    que mes yeux perdus ne verront plus.

    Je veux là-bas être traîné jusqu’aux pluies

    que le sauvage vent de la mer émiette et combat

    et puisque les eaux souterraines me conduisent

    vers le printemps profond,

    lorsqu’il reparaîtra

    ouvrez contre moi une tombe pour celle que j’aime pour qu’encore une fois,

    elle m’accompagne en terre.

     

    Homme :

    Don Pablito, j’ai besoin de parler avec vous . Il y a une chose propre dans ma vie : c’est  l’amour de ma fiancée. Regardez-là, don Pablito. Elle m’aime grâce à vous. Grâce à vos poèmes que nous avons appris par choeur.

     

    Femme 2 :

    C’est l’histoire d’un homme simple et d’une belle qu’il aimait de loin... .et du poète qui changea  leur vie à jamais. C’est l’histoire d’un homme qui a su trouver la poésie dans sa vie.

     

    Homme :

    Je ne savais pas quoi lui dire don Pablito. Je l’ai vue et je suis tombé amoureux. Je ne savais pas quoi lui dire...

     

    Femme 2 :

    C’est l’histoire d’un homme qui se découvre lui-même à travers la poésie, qui découvre l’amour, la politique, tout.

     

    Homme :

     J’ai besoin de parler avec vous don Pablito. Quand je vous écoute, je suis comme un bateau dans la tempête, secoué par vos mots.

     

    Femme 2 :

    C’est l’histoire d’un homme qui a appris que chaque moment a un sens, que chaque parole a sa place, et qu’il y a un chemin vers le coeur de chaque femme.

     

    Homme :

    “ Mon amour, avant  de t’aimer je n’avais rien...

    ... j’hésitai à travers les choses et les rues

    rien ne parlait pour moi et rien n’avait de nom

    le monde appartenait à l’attente de l’air.”

     

     

    Femme 1:

    “Sans toi, sans moi, sans lumière plus ne serons...

     

     Homme, puis reprise par le chanteur:

    ... alors bien au-delà de la pierre et de l’ombre

    notre amour brillera aux couleurs de la vie.”