• A propos de Jean Sénac

    Algérien ou Français?

    Algérien si l'on considère que cette nationalité fut par lui fortement revendiquée. Il chante la lutte révolutionnaire en qui il met toute son espérance par sa capacité de créer un monde de beauté et de fraternité, dans une Algérie ouverte à toutes les cultures Il y associe son propre combat: recherche d'identité profonde, à la fois personnelle et culturelle, et sa lutte pour faire accepter son homosexualité.

     

      " Quand je serai mort, jeunes gens,

    Vous mettrez mon corps sur la mer :

    Vous serez des hommes libres

    Vous construirez une culture sans races

    Vous comprendrez pourquoi ma mort est optimiste »

    Ainsi écrivait Jean Sénac, bien longtemps avant son assassinat. Il a été retrouvé poignardé, gisant dans ce qu’il appelait sa cave-vigie, lui qui depuis quelque temps signait Jean Reclus parce qu’il se sentait si mal, quasiment enterré dans cette misérable cave de la rue Elisée-Reclus à Alger, lui qui toujours défendit la terre que son âme avait élue, lui  qui toujours signait ses poèmes d’un soleil.

    « Vous verrez, je serai assassiné, et ils feront croire que c’était une affaire de mœurs ».

    En mettant fin à sa vie le 30 août 1973, ses assassins avaient cru le réduire à jamais au silence. Ils se sont trompés, puisque sa voix est chaque jour un peu plus forte.

     

     Quel tort avait donc commis Jean Sénac pour mourir comme un chien. Il est probable qu’il ait eu un goût trop prononcé pour les libertés- du corps, le sien, de la poésie- pour le verbe trop parfumé à l’essence de vérité et d’intelligence, et pour ses préférences pour l’amour des hommes. Et surtout pour cette Algérie revendiquée avec des mots lourds d’amour et de désespoir.

    « Que me reproche-t-on ? De ne pas être dans mon travail, dans ma vie sociale, ma vie privée, un larbin apeuré et servile ? De ne pas manier la brosse à reluire ? »

    « Je suis de ce pays »… « Je parle pour que chacun connaisse mon pays, pour tous les jeunes du monde, et je leur dis : regardez-la, il faut l’aimer notre mère, cette Algérie droite et frappée par le soleil ».

     

     Marginal, utopique, révolté. En quête permanente : du soleil, de son identité, de ses racines et de son rêve algérien. Mais aussi vagabond sans père, car la première quête de Jean Sénac est assurément celle, jamais assouvie du père. Sans cesse il reviendra vers ce géniteur inconnu qui, selon ses propres paroles, « a fui encore tout moite de son sperme » et qui l’a laissé « irréalisé », ce père à la personnalité masquée, improbable, qu’il se représentait « indiscutablement beau », ce père qui fut à la fois « sa soif » et « son néant ».

     

    « Nous sommes des faiseurs de poèmes comme il y a des fabricants de pain ou de chaussures… Le rôle spirituel est peut-être un peu plus important dans la mesure où il implique l’âme, mais l’âme sans le corps, ce n’est pas grand-chose… Nous devons revenir à beaucoup de modestie. Nous avons besoin d’un orgueil beau comme un pain. »

                                       Ainsi parlait Jean Sénac, le poète qui signait d’un soleil.